LE PIEGE DU TECHNODETERMINISME

Par SPRA — Dernière modification 17/03/2017 14:56:30

Le technodéterminisme existe depuis la nuit des temps. Un des premiers exemples remarquables se trouve dans le Phèdre de Platon, où Socrate explique pourquoi et comment l’invention de l’écriture rendra les êtres humains idiots. C’est à la fois très paradoxal, très séduisant et très faux. Paradoxal parce que Platon n’était de toute évidence pas d’accord avec son maître puisqu’il a reporté par écrit les récits de Socrate. Sans l’invention de l’écriture, nous n’aurions pas eu ces dialogues à travers lesquels Socrate nous enseigne tant de choses passionnantes mais nous explique également que l’écriture est dangereuse et qu’elle ne conviendra qu’à des êtres humains idiots.


Séduisant parce qu’on a envie de croire qu’une nouvelle technologie ne peut que nous rendre idiots. C’est le côté réactionnaire qui parle. Pensez à Internet. N’avez-vous pas entendu dire que nous sommes, nous utilisateurs du réseau, un sous produit de l’humanité ? C’est ce que Socrate disait déjà, et après lui tous les chantres réactionnaires face à l’imprimerie (Frollo dans Notre-Dame de Paris : « Ceci tuera cela »), au cinéma, à la radio, à la télévision, et, bien entendu, face à Internet. Pourtant, et ne leur en déplaise, cet argument est faux. La technique n’affaiblira pas l’homme, pas plus qu’elle ne l’abêtira, pourquoi ? Parce que la technique n’existe pas en soi. La technique n’agit pas d’elle-même. L’intelligence artificielle, même ça, est l’intelligence d’un être humain, ou plus exactement de plusieurs êtres humains, et ne fera rien d’autre que ce que nous lui aurons demandé. L’autonomie de la machine n’est pas une autonomie en soi, mais désigne simplement un laps de temps plus long entre les interventions de l’homme. Nous ne sommes pas déterminés par la technique. Nous utilisons la technique, nous choisissons de l’utiliser. Et certains la conçoivent, elle porte la marque de leurs projets, leurs intérêts, leurs valeurs. Par la médiation de la technique, autrement dit, nous entretenons une relation avec des ingénieurs. Ainsi, Internet ne nous rendra jamais méchants ou idiots. Mais les ingénieurs, en revanche, pourront nous menacer par l’intermédiaire de la technique, nous contraindre, censurer l’information, etc. Bref, la technique n’agit pas en soi. Elle agit toujours à travers les être humains, en provenance des être humains. Elle est la concrétisation de la volonté des techniciens. 
 
 

Le technodéterminisme a été déconstruit depuis longtemps par les philosophes, mais continue d’avoir la cote en politique et en économie. On croit que la technique va sauver ou détruire le pays. On croit qu’elle va sauver ou détruire les emplois. On croit qu’elle va sauver ou détruire les campagnes politiques. Et l’on ne voit pas les coulisses. Derrière la machine, on refuse de constater qu’il y a des machinistes et d’essayer de comprendre leurs machinations.  Si Mélenchon n’a rien à faire dire à son hologramme, il ne gagnera pas l’élection à sa place. Si Hamon supprime les robots, il n’y aura pas davantage de travail mais un travail différent. Les algorithmes n’écriront pas le programme de Macron à sa place, pas plus qu’ils n’endosseront pas la responsabilité morale de Fillon. Les machines ne résoudront rien aux invectives du FN. 

 

Il faut comprendre les éléments techniques qui nous entourent, notamment des ordinateurs. Car en les comprenant nous saurons ce qu’elles valent, ce qu’on peut leur faire faire et ce que nous voudrions qu’elles puissent faire pour nous. Les cours de technologie du collège devaient être utilisés pour cela. Or ils sont devenus une espèce de récréation améliorée. C’est dommage, parce qu’il est urgent de comprendre ce qui se joue dans la technique, les logiciels, les ordinateurs, les normes, et ce que cela implique pour notre économie ou notre politique, au lieu de croire que la technique existe en soi et qu’elle peut soit nous sauver soit nous détruire.